TROISIÈME ANNONCE DE LA PASSION
Jr 18, 18-20 ; Mc 10, 32-45
Mercredi de la deuxième semaine de Carême – B
(27 février 1991)
Homélie du Frère Jean-Philippe REVEL
C |
ette page d'évangile comporte trois parties. Tout d'abord la troisième annonce de la Passion du Christ. Cette annonce est plus tragique que les précédentes. Jésus marche devant ses disciples qui le suivent dans la stupeur. Ils sont effrayés par ce que Jésus leur dit : "Voici que nous montons à Jérusalem et le Fils de l'Homme sera livré, condamné à mort, bafoué, flagellé et on le tuera ! Mais le troisième jour, Il ressuscitera !" Nous avons déjà lu les deux premières annonces de la Passion et ainsi ces textes balisent notre carême qui pour nous aussi est une montée vers Jérusalem, une avancée vers la Pâque du Christ, une marche avec Lui vers le mystère de sa mort et de sa Résurrection.
La deuxième partie de cette page c'est la demande des deux fils de Zébédée, demande un peu naïve, inconsidérée et en même temps pleine d'orgueil, par laquelle ils voudraient être les privilégiés du Royaume, siéger à droite et à gauche du Christ. Et Jésus va leur promettre non pas d'abord la gloire mais la participation à sa Passion. Comme Lui, ils vont être appelés à donner leur vie, à être persécutés, à mourir avant de ressusciter. Et pour parler de cette Passion Jésus emploie deux images, celle de la coupe et du baptême.
L'image de la coupe. La coupe du sacrifice. Boire à la même coupe que quelqu'un, c'est entrer en communion avec Lui, car seuls ceux qui sont dans une communion profonde boivent dans la même coupe. C'est donc partager la destinée de quelqu'un. Boire la coupe du Christ c'est non seulement marcher à sa suite, mais être, en quelque sorte, identifié à sa vie, à son destin, c'est entrer dans le mystère de son sacrifice.
L'image du baptême non pas dans le sens où ce mot signifie le geste sacramentel, mais dans le sens originel du mot baptiser qui veut dire "plonger avec intensité", plonger de façon totale, être immergé. Dans l'antiquité, baptisé se disait de quelqu'un qui se noie ou d'un bateau qui coule. C'est donc une image bien choisie pour parler de l'immersion du Christ dans sa souffrance, dans la Passion et dans la mort. Le Christ qui a été baptisé symboliquement dans l'eau au Jourdain par Jean-Baptiste, Jésus sur qui est descendu l'Esprit Jésus qui a été baptisé dans l'Esprit en prophétie du baptême sacramentel chrétien qui est un baptême d'eau et d'Esprit, Jésus doit aussi passer par un troisième baptême, le baptême de sa mort, le baptême de son ensevelissement le baptême de cette descente au plus profond de notre souffrance, de notre péché, de ce que notre Credo appelle "la descente aux enfers" le Christ qui a voulu parcourir toute l'histoire et toute la destinée humaine, non seulement dans ses parties visibles mais aussi dans ses parties les plus obscures et sombres, Jésus qui a voulu descendre dans l'enfer de notre culpabilité et de notre péché, dans l'enfer où se trouvent les morts, Jésus qui est allé annoncer la vie aux morts. Et c'est du fond de l'abîme, c'est du fond de l'enfer que Jésus est remonté vainqueur C'est du fond de notre péché, c'est du fond de notre souffrance et de notre mort que Jésus a triomphé par sa Résurrection. C'est cela qu'Il annonce à ses disciples. Il n'est pas question d'abord de siéger à sa droite ou à sa gauche, mais d'entrer dans sa Passion, de boire la même coupe, la coupe du sacrifice, d'être enseveli dans le baptême de sa mort. Et si les disciples participent ainsi à la coupe et au baptême de la Passion du Christ, alors ils ressusciteront dans la gloire avec Lui et il ne sera pas question de privilège, de droite ou de gauche mais tous seront unis étroitement au Christ dans la gloire.
La troisième partie, c'est la réaction des autres disciples devant la demande un peu naïve de Jacques et de Jean. Réaction de jalousie qui trouve de mauvais goût que deux d'entre eux veuillent les supplanter dans le Royaume et occuper les premières places à leurs dépens. Jésus prend prétexte de cette dispute pour donner aux douze la charte du Sacerdoce qu'Il leur confie. Il ne s'agit pas d'être des chefs, il ne s'agit pas d'être des maîtres, il ne s'agit pas d'être des grands, il ne s'agit pas de régner, de dominer, de gouverner, d'avoir le pouvoir. Le sacerdoce que Jésus confie à ses disciples, à ses apôtres, et après eux aux évêques et aux prêtres qui leur succèdent, c'est un sacerdoce de service, un sacerdoce de ministère. C'est en se mettant au service de leurs frères qu'ils entrent dans la vie, dans la participation à la vie du Christ, Lui-même serviteur. Car dit-il, "le Fils de l'Homme n'est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude." Pourtant le Fils de l'Homme est Fils de Dieu et Il aurait pu revendiquer le pouvoir et le gouvernement.
Ainsi la Passion du Christ qui est à l'horizon de notre Carême comme à l'horizon de cette page d'évangile est le sens profond de tous les sacrements. Par le baptême tout chrétien est enseveli avec le Christ dans la souffrance et dans la mort mais pour ressusciter. Par l'eucharistie, nous participons au sacrifice du Christ, nous recevons la coupe qui nous fait boire à sa propre Pâque. Par le sacerdoce, ceux qui sont appelés à être prêtres du Christ reçoivent un ministère, le service de leurs frères, à l'image du Christ serviteur, serviteur jusqu'à donner sa vie.
Tout le mystère chrétien est ainsi un mystère de mort et de résurrection, un mystère de renoncement, un mystère d'acceptation de la souffrance non pas par masochisme ou par plaisir malsain, mais parce que cette souffrance est celle de Jésus et que c'est seulement en marchant avec Jésus, en nous identifiant à Lui, que nous pourrons être ses disciples, être ses apôtres, être ceux qui, avec Lui, entreront dans la vraie vie car la vraie vie c'est celle du Christ. Et cette vie, elle jaillit de sa Pâque, elle jaillit de son tombeau. C'est le plus grand amour qui est de donner sa vie pour ceux qu'on aime.
AMEN