Le rêve de Nanoun
Conte de Noël
Noël 2011
Saint Jean de Malte
Aix-en-Provence
Des ténèbres à la lumière
"Grand-mère, raconte-moi encore Noël ? C'est une belle histoire, s'il te plaît ? raconte encore ? "
"Nanoun, tant de fois je te l'ai racontée cette histoire, tu dois la connaître par cœur maintenant ?"
"Non, tu ne m'as pas tout dit, il y a encore beaucoup de choses que je ne connais pas, raconte-moi ?"
C'est Charloun, le berger qui se met à parler doucement, de sa voix chaude et un peu rocailleuse comme la plaine de la Crau où il conduit ses moutons. Nanoun l'écoute avec toute l'attention et la curiosité de ses huit ans. L'histoire ne débute pas comme les contes de grand-mère : il était une fois…
"Au commencement …"
Oui, au commencement, bien avant que la terre ne surgisse de nulle part, au commencement de toute l'aventure, car la vie est bien une aventure. Qu'en sait-elle Nanoun, la petite bergère des Alpilles, habituée au mistral et aux rudes montagnes des Baux ?
"Au commencement", il y avait un beau jardin, les animaux vivaient en bonne entente entre eux et avec l'homme … Et Dieu aimait à se promener à la brise du soir en devisant avec l'homme, comme un ami parle avec son ami.
Les yeux de Nanoun sont lourds de sommeil, le feu crépite dans l'âtre, une grosse bûche achève de se consumer doucement et enveloppe tout de sa douce chaleur. Couché aux pieds de Nanoun, le chien de Charloun lui aussi sommeille, fatigué sans doute d'avoir galopé toute la journée derrière les brebis pour les ramener toutes à la bergerie, car les nuits sont longues et froides en ce soir de décembre.
"Au commencement …" un arbre … un serpent qui parle … un fruit séduisant, il doit donner la vie puisqu'il est si beau ? Pourquoi ne pas le cueillir, il paraît qu'il donne l'intelligence, le savoir et la sagesse…
Mais voilà, au lieu de la lumière promise, c'est la nuit qui descend et enveloppe tout de son lourd manteau de ténèbres épaisses. C'est un fruit trompeur, il donne la mort et brouille la transparence de la vie. Il détruit l'équilibre de la création si belle. Pourquoi ? Nanoun ferme les yeux plus fort pour ne pas voir cette vilaine créature qui lui fait peur.
Un jour, elle en a aperçu une dans les cailloux, mais la bête a fui rapidement sans laisser de trace. C'est toujours ainsi, quand le mensonge a fait son œuvre, il détruit, abîme tout, brouille les regards, ferme les cœurs, et l'homme se retrouve dans la solitude, la nuit et le froid…
"Au commencement" … il y eût un berger appelé Abraham. Il doit ressembler à Charloun puisqu'il est berger ? Il vit dans un pays très loin d'ici, il a beaucoup voyagé, et quand il s'arrête, il vit sous une tente en peau de chèvres. Il cherche le Dieu qui lui a demandé un jour, de quitter son pays, sa famille, et de partir pour un autre pays.
Il aime regarder les étoiles, car la nuit dans le désert est aussi lumineuse que le jour. La Promesse d'un fils … mais ma femme est âgée se dit-il, elle ressemble à la vieille Marthe.
Un fils … à son âge, voyons, est-ce possible ? Une espérance teintée de doute, dans une longue attente.
"Au commencement" … longtemps après, un autre berger Moïse, entend Dieu lui parler et sa parole est comme la flamme de feu dans son cœur.
La famille d'Abraham est devenue un peuple, et ce peuple cherche toujours à découvrir l'endroit où se trouve Dieu. Il ne sait pas que Dieu est là, qu'Il le conduit, qu'Il l'aime … oui, mais le peuple ne le voit pas, il est toujours dans la nuit. Dieu est un grand silencieux.
De commencement en commencement, il est bien long le chemin qui va vers Dieu. N'est-ce pas plutôt Dieu qui vient vers nous ? Et puis, on peut se tromper de route, quand on ne sait pas ? comment faire ?
Et Nanoun se met en route elle aussi (rêve ou réalité), elle suit ce peuple qui marche sans trop savoir où il va. Il a marché très longtemps sur un chemin semé d'embûches, dans la nuit de l'Égypte, puis dans l'aridité du désert brûlant avant d'entrer dans un pays où coulent le lait et le miel.
C'est bon d'être là, les palmiers sont couverts de dattes, les figuiers donnent des fruits savoureux, les vignes regorgent de raisins qui vont donner des vins capiteux. Nanoun pense que la vie est belle.
Tiens, on dirait un palais … d'où vient cette douce musique ? quelqu'un chante en s'accompagnant d'une harpe. Nanoun se glisse sans bruit dans les grands couloirs et marche vers cette musique qui l'attire et la charme. Elle marche vers ce jeune roi dont le cœur est tout rempli de l'amour qu'il porte à son Dieu, et il chante pour Lui des prières qu'il invente, rien que pour Lui. Il dit au Seigneur : "Tu es mon berger, rien ne saurait me manquer".
David, comme Tiénou, était berger lui aussi avant que le Seigneur ne lui confie un autre troupeau bien remuant et parfois indocile.
Voici que le ciel s'assombrit, des bruits de guerre, de bataille, que se passe-t-il ? Les épées font leur travail de mort, et les cris des soldats se mêlent aux pleurs des prisonniers qui s'avancent en longue file triste et morne. Où est le temps des chants et des danses ? Où est le temps de la louange et de l'allégresse ? où est le temps des noces joyeuses ? Où est le temps des grands rassemblements dans le temple de Jérusalem ? Parfois, une voix s'élève dans la longue colonne : "Ne craignez pas, votre Dieu est avec vous et Il vous ramènera dans votre pays, Il vous prendra en pitié".
Le temps est long, si long … Nanoun voudrait interrompre le rêve qui devient cauchemar. Tout avait si bien commencé, il n'y a plus de feu dans la cheminée, la grosse bûche s'est consumée lentement et semble éteinte. Il fait froid, la nuit est si longue, si silencieuse, d'un silence lourd de tristesse et de solitude. Où est Dieu ? Nous a-t-il oublié ?
Dans les ténèbres, une voix retentit : on dirait la voix du moine Colomban.
Il annonce la venue de quelqu'un qui sera comme une grande lumière. Isaïe a annoncé cela il y a bien longtemps. A moins que ce ne soit la voix du plus grand des prophètes qui annonce Celui qui vient ? Le moine aussi a été touché par la nuit, sa grande houppelande sombre n'arrive pas à cacher complètement son vêtement couleur de neige, et il dit : "Quand vos péchés seraient comme l'écarlate, ils deviendront blancs comme la neige !" Quelle audace !
La vieille Noémie sous sa cape noire n'arrive pas à masquer la lumière remplie de l'espérance qui habite son cœur. Sa robe est toute de lumière, et son visage reflète cette foi tranquille en la promesse d'un Dieu qu'elle ne voit pas mais en qui elle croit de tout son cœur.
Et Nanoun se glisse subrepticement dans la longue procession de tous ces gens qui avancent comme attirés par la lumière promise mais encore invisible. Elle les regarde défiler sous ses yeux, ces santons qui tout à coup semblent s'animer d'une vie nouvelle. (C'est le secret des santons, on raconte qu'après minuit, une étincelle de vie leur est donnée jusqu'à l'aurore de Noël. Allez savoir ce qui se passe quand la lourde porte de l'église est fermée).
Elle suit Antonin chargé de ses plus beaux raisins, fruit de son labeur attentionné pour sa vigne.
Paulin et Pauline, sont toujours amoureux et un peu timides. Mademoiselle Rosalie ne cache pas son attirance pour Maximin le pêcheur, ils sont du même village et leur cœur est tout pur, il n'y a en eux ni malice ni tromperie. Ils sont confiants l'un envers l'autre et dans l'avenir qui s'ouvre devant eux.
Seul le meunier a conservé son habit couleur de neige, comme éclaboussé par la farine blanche qui jaillit de la meule. Sait-il qu'un jour, cette farine servira à pétrir un pain de Vie ? Mais non, c'est trop tôt.
La fière dentellière est revenue après une longue absence. Ses fuseaux dansent sous ses doigts agiles, car il y a là-bas une jeune maman qui sera ravie de recevoir en cadeau de naissance, un voile de dentelle fine et unique.
La bergère a délaissé son agneau car elle a retrouvé dans le grenier de sa grand-mère un joli rouet et s'est mise à filer la laine douce et légère. Cela fera une jolie couverture bien chaude pour l'Enfant. Et ces douceurs qui fondent sous la langue, la calissonnière est bien hardie de se joindre à la procession.
Le chasseur est tout pensif, il s'appuie sur son fusil. A quoi pense-t-il ? peut-être à toute la violence qui a envahi la terre à cause de ce fruit pourri qui a empoisonné le cœur des hommes car ils n'arrivent plus à s'aimer et à accepter leurs différences. Que peut-il faire ?
Le rémouleur aiguise ses couteaux, mais ce ne sont pas des armes de guerre, c'est tout simplement pour faciliter le travail des cuisiniers qui ont l'art de mijoter des petits plats raffinés. D'ailleurs, regardez son visage, il est tout empreint de douceur, d'intériorité. Il n'y a rien de violent en lui. A quoi rêve-t-il tout en tournant sa meule? C'est son secret …
Fanny et Vincent s'avancent à pas menus, peut-être ont-ils un vœu secret à présenter à l'auteur de tout amour naissant ? Ils ont quitté le pays d'Arles en pleine nuit. Le chemin leur a paru bien long dans la Camargue bruissante des mille chants des habitants des roseaux.
Le potier quant à lui, n'a pas du tout envie de laisser ses cruches entre les mains de n'importe qui. Il a mis tout son savoir et son attention à façonner la glaise, ce n'est pas pour laisser détruire l'œuvre de ses mains. Il a entendu dire qu'un jour, un nommé Jérémie avait brisé une cruche, soi-disant pour faire comprendre un message de Dieu. Il y a quand même des façons plus civilisées de se faire comprendre, ne trouvez-vous pas ?
Adèle cherche Nanoun, elle est inquiète, pourquoi sa petite fille a-t-elle disparu sans rien dire ? Allons, allons, elle n'est pas partie, elle rêve tout simplement, et son rêve petit à petit devient réalité, comme cette promesse venue du fond des âges.
Maguelone et Anaïs ne pensent qu'à s'amuser … Oh ! quel est ce roulement de tambour tout doux accompagné d'un son de galoubet entraînant. Est-ce l'invitation à la fête ? On dirait une danse, d'ailleurs Sarah a tout compris, et elle s'est mise à virevolter en accompagnant discrètement le tambourinaire.
Que se passe-t-il ? L'ange Boufaréou lui aussi se réveille de son long sommeil et souffle dans sa trompette comme pour ameuter tout le quartier ! Quelle est donc cette grande nouvelle qui ne peut attendre ? Oui, que se passe-t-il ?
Nanoun se frotte les yeux … a-t-elle rêvé ? rêve-t-elle encore ? Grand-mère, où es-tu ? Est-ce vrai toute cette histoire ?
Tout est devenu lumineux, les étoiles brillent de mille feux.
Sur la petite peau d'agneau toute douce, repose un Enfant souriant qui semble dire : "Venez, je suis votre lumière, n'ayez pas peur, si vous marchez à ma lumière vous ne serez plus jamais dans la nuit". Saint Cyrille de Jérusalem dira qu'Il est descendu "imperceptible comme la rosée sur la toison".
Sa Mère le regarde avec tendresse et adoration. Cet Enfant, c'est le sien, mais c'est aussi le Fils éternel d'un Père qui a tant aimé le monde qu'Il nous a donné ce Fils unique rempli de grâce et de vérité.
Et Joseph ne peut qu'admirer avec respect ce mystère d'amour infini qui s'accomplit sous ses yeux. Ainsi se réalise la promesse : "Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière".
Bientôt, les mages viendront de l'Orient, marchant dans la nuit, guidés par une lumière insistante et mystérieuse. Ce sont tous les trésors de leurs pays respectifs et les secrets de leur cœur qu'ils viendront déposer aux pieds de cet Enfant.
Ils reconnaissent en lui l'accomplissement de la Promesse faite à Abraham, à Moïse, à David et par la bouche des prophètes, à tout le peuple qui a si souvent prié en disant: "Viens".
C'est ainsi, en cette nuit illuminée par Celui qui est la Lumière du monde, que les santons, à leur manière, ont essayé de vous partager humblement ce qui les habite, ce message d'espérance et de tendresse qu'ils viennent vous offrir chaque année la nuit de Noël.
Et moi, le ravi ! toujours présent à la crèche.
Réjouissez-vous avec moi …